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La première chose à laquelle vous pensez lorsque vous mettez un pied dans la maison décorée avec goût de James Gunn, à San Fernando Valley, c’est que vous ne vous attendiez pas à ça de la part de ce réalisateur excentrique aux pics capillaires.
Il a débuté sa carrière dans le monde sévère et sans budget des films Z subversifs auprès de Troma Entertainment, écrivant la parodie punk de Shakespeare, Tromeo & Juliet, et plus tard été promu sur The Specials et Super, des décorticages de superhéros presque aussi contraignants financièrement, et Slither, une déconstruction SF des années 50, introspective et acclamée par la critique. Et comme Gunn lui-même, si on examine attentivement son monde, on trouvera une profondeur et un charme qui ne sont pas immédiatement apparents.
Outre les figurines, objets de collection et souvenirs de films qu’on trouve dans beaucoup de demeures de réalisateurs geeks, le monde de Gunn est dominé par les œuvres plastiques étranges et parfois troublantes, comme une affiche de film peinte à la main pour Slither (en provenance direct du Ghana), une toile accrochée dans le corridor. Ses effets personnels comprennent une myriade de choses merveilleuses et terribles, parmi lesquelles de belles figurines à grosse tête d’allure chinoise par Click Mort et des peintures de célèbres artistes de la sous-culture qu’il est assez cool pour pouvoir appeler ses amis, notamment Craig LaRotonda (“Divinatio”) et Glenn Barr (“The Rec Room”).
Oui, c’est le même type qui a été choisi pour réaliser les Gardiens de la Galaxie, le film de superhéros Marvel le plus attendu depuis The Avengers. Et, comme le personnage de Benicio Del Toro dans le film The Collector, Gunn montre de la curiosité et de l’amour pour les choses étranges, et c’est peut-être ce qui le prédispose parfaitement aux Gardiens qui, bien qu’étant un film de super héros, est radicalement différent des films Marvel qui l’ont précédé.
Beaucoup ont été surpris que Kevin Feige, président de Marvel Studios, confie les clés du royaume à Gunn. Après tout, n’était-ce pas le type qui, il y a seulement quelques années, payait ses factures en écrivant le scénario de films mainstream comme L’Armée des Morts et Scooby-Doo? Et son dernier film, Super, était un film indé avant-gardiste, sombre, classé R produit avec moins de fonds que n’en dispose le budget repas d’un blockbuster Marvel. La réponse à ce casse-tête pourrait avoir un rapport direct avec l’auteur-réalisateur des Avengers, Joss Whedon, qui était lui aussi un choix de réalisateur tout aussi surprenant, étant donné que son expérience précédente consistait à travailler pour la télévision. Mais, visiblement, Whedon l’a décroché, et à l’aide d’un script intelligent et de sa vision assurée, The Avengers est devenu l’un des plus gros succès de tous les temps au box-office.
Après cela, Whedon a aidé Gunn à ébaucher les Gardiens, louant le réalisateur pour son scénario impliquant des superhéros marginaux, dont un produit par l’éditeur fondateur de GEEK US, Mark A. Altman. «C’est ce type qui a écrit The Specials», s’est extasié Whedon à propos du classique culte de Gunn. «Les gens ne comprennent pas à quel point ce film a eu de l’influence sur la transformation de héros en personnes banales.»
Gunn a donc été chargé d’adapter le comics de longue date (lancé en 1969) des Gardiens à l’écran, et donner vie à un arbre guerrier et un raton-laveur mortel, crédible et doué de la parole, au sein d’une bande de cowboys de l’espace excentrique. Et, étant donné la réception enthousiaste suite au premier teaser du film, il apparaît que le statut culte
de Gunn est vraiment en péril.
GEEK: Vous avez commencé dans des films petit budget à travailler pour votre mentor, Lloyd Kaufman, chez Troma. Quelles leçons avez-vous tirées de cet univers que vous avez pu appliquer ensuite à la réalisation de films gros budget?
Gunn : J’ai tiré des millions de leçons. Numéro un f: tenez-vous prêt à ce que tout foire. Et c’est une réalité, que vous travailliez sur un film petit budget ou gros budget, et cela m’a beaucoup servi, parce qu’en général ça foire et, en général, j’y suis prêt. C’est la leçon numéro un, mais j’ai tout appris de Lloyd sur la production cinématographique, du casting au repérage de lieux, de la réalisation au montage, même à concevoir les affiches et à distribuer les films dans les salles. C’est ce qui, selon moi, a rendu mon travail à Troma tellement génial. Peu de gens ont cette opportunité. Nous restons des amis proches.
La conscience métaphysique et introspective est une constante de vos travaux, aussi bien dansThe Specials que Slither ou les Gardiens. Vous vous verriez réaliser un pur film de superhéros? De quelle façon pensez-vous que votre sensibilité a affecté ces films? D’une certaine manière et sous certains aspects, The Specials anticipe les Gardiens.
En fait, ça semble ridicule, mais d'un certain point de vue, je trouve que Super est un pur film de superhéros parce que j’y ai intégré ma sincérité. Je ne le qualifierais pas de “métaphysique”. C’est la façon dont fonctionne mon cerveau. Pour moi, cela traite de nos contemporains, ce n’est pas de la fiction. Les Gardiens sont avant-gardistes, impertinent et amusants, mais je les prends très au sérieux.
Quels comics avez-vous lus dans votre jeunesse?
J’ai lu presque tous les comics Marvel en grandissant. Je possédais tous les Spider-Man, du numéro 4 au numéro 300. J’avais tous les Avengersà partir du numéro 4, tous les Fantastic Four depuis le numéro 9. J’avais tous les Howard the Duck, je l’adorais. J’avais tous les Conan le Barbare, j’adorais Conan. J’adorais La Tombe de Dracula... Les Défenseurs. Je n’étais pas spécialement fan de Thor, mais j’ai lu beaucoup de comics Marvel. À l'âge de treize ans, je pensais que je voulais écrire des comics et peut-être les dessiner. À cette époque, j’étais plutôt conscient de ne pas être un artiste suffisamment talentueux pour dessiner des comics, mais je pensais que j’étais assez doué comme auteur. C’est donc l’orientation que j’ai pensé choisir.
Racontez-nous comment vous avez été impliqué dans les Gardiens. Visiblement, le président de production du studio Marvel, Kevin Feige, était fan de votre travail. Comment cela s’est-il passé pour vous?
Décrocher cette mission fut un travail de longue haleine. À chaque fois que je m’avance pour un film, je pense que je fais très bien, parce qu’en quelque sorte, je m’en fiche. Et je sais que ça paraît bizarre, mais réaliser des films est difficile. Quand on décroche le job, on s’attend à beaucoup de boulot, et si on ne le décroche pas, ça veut dire qu’on va s’amuser. Il y a des avantages à décrocher un job, ou ne pas le décrocher. Mais je peux dire avec sincérité que la première fois que je me rappelle m’être senti concerné par un projet si tôt dans le process, c’est pour les Gardiens. C’était l’idée [de Marvel]: ils m’ont appelé pour me pitcher sur les GdlG. Je pensais qu’il s’agissait plus d’une réunion générale et je n’en connaissais pas exactement la teneur. [Le producteur exécutif] Jeremy Latcham et [le producteur] Jonathan Schwartz m’ont présenté les Gardiens de la Galaxie sous la forme d’un film.
Je n’étais pas sûr qu’il s’agissait du film que je voulais, pas plus que je ne pensais décrocher le job. Je ne pensais pas qu’ils me rencontraient sérieusement, je pensais que j’étais tout simplement une personne intéressante à rencontrer, contrairement à quelqu’un qui décrocherait vraiment le job. J’y ai réfléchi un peu, et quand je me suis assis, j’ai commencé à voir comment cela pourrait fonctionner. J’ai adoré ces héros de l’espace quand j’étais enfant, mais je pensais qu’ils étaient rassis. Je suis donc rentré, j’y ai réfléchi et c’est de cette façon que c’est venu. C’était complètement visuel. Cela ne concernait pas tant mon approche scénaristique que ma façon de m’attaquer visuellement au film. J’ai rédigé ce long document sur mon approche pour recréer ce space opera. Ils ont accroché, mais ce n’était pas encore fini, car la première chose, c'est qu'il y avait toute une bande de types coucourant pour le poste, puis cinq, puis deux, et moi pour finir. Après cela, je me suis envolé pour Wilmington, en Caroline
du Nord, où ils tournaient Iron Man 3, et j’ai présenté le projet à Kevin Feige et [le producteur exécutif] Lou D’Esposito. J’ai aussi esquissé un storyboard à partir d’une séquence qui a terminé dans le film. Et ils m’ont engagé.
Joss Whedon a dit, et je le paraphrase, que vous étiez “la raison pour laquelle les GdlG fonctionnera”. Comment se sent-on lorsqu’une telle icône de la culture geek nous témoigne une confiance pareille?
Joss m’a toujours eu à la bonne. Joss a inséré mon roman Toy Collector dans la comédie musicale webisodique Dr. Horrible’s Sing-Along Blog. Il a présenté The Specialsà ses lecteurs dans son émission télé, pour montrer la façon dont le dialogue fonctionnait. Il a toujours été un immense soutien : Joss m’a offert mon premier boulot quand je me suis installé. Je suis toujours touché lorsqu’il me fait publiquement des éloges et je suis ému lorsque c’est en privé. Après avoir visité le plateau des Gardiens, il m’a écrit une longue note montrant à quel point il était enthousiaste pour ce film, et combien il était jaloux parce que, d’une certaine façon, réaliser les Gardiensétait le job le plus cool à Marvel, puisqu’il y avait tout à faire. Joss devait entrer en scène et se charger d’un tas de trucs qui existaient déjà et ne pouvaient remplir leurs objectifs aussi bien que lui-même le faisait. Je n’avais pas ce bagage. Il me suffisait d'entrer en scène et de jouer.
Benicio de Toro est connu pour être exigeant sur le choix de ses rôles. Comment vous l’avez approché?
Il est des personnes que je considère comme des âmes sœurs, et pour moi ce sont des barjos. Michael Rooker en fait partie. Benicio Del Toro également. Ce sont comme moi des excentriques et, d’une certaine manière, je “capte” ces personnes. Nous avons donné le script à Benicio, il l’a vraiment apprécié, et dans ce script, l’une des descriptions du Collector le présentait comme un Liberace de l’espace et il s’y est complètement identifié. Nous avons alors parlé du rôle et je me suis très vite bien entendu avec ce mec. Nous glandions ensemble pour la première fois dans son dressing à costumes, à Londres, et il me disait combien The Collector adorait collectionner ces objets, et sa motivation s’est construite là-dessus, puis il a prononcé cette phrase, que je n’oublierai jamais: «J’étais le premier enfant de mon quartier à avoir un alligator domestique.»J’ai pensé: «Ce type et moi allons être amis pour longtemps.»
Comment pensez-vous que la technologie transforme le cinéma?
Si on se penche sur la question de savoir pourquoi les films de superhéros sont si populaires de nos jours, on peut avancer de nombreuses raisons exaltantes comme«Les gens se sentent de plus en plus impuissants, et ils veulent voir à l’œuvre des puissants», ou ils ressentent ceci, cela, peu importe. Ce n’est que de la technologie. Je m’étais vraiment enthousiasmé pour le film sur Iron Man, mais je savais aussi qu’aucun film de superhéros n’a jamais mis en scène un superhéros de série B. La technologie [accessible] était en mesure de rendre un sentiment de réalisme jamais atteint, et c’est ce qui rend les films de comics aussi populaires de nos jours. Mais on a besoin de continuer à produire différents genres de films de superhéros, et par conséquent ce que Marvel fait des GdlG est purement génial.
Quels sont les plus gros défis rencontrés pour adapter cette licence Marvel particulière?
Uniquement les choses habituelles. Produire un film gros budget est, en bien des façons, plus facile que les autres films que j’ai réalisés. Je suis entouré des personnes les plus talentueuses pour m’aider et je n’ai plus autant à me charger de leurs missions que j’ai eu à le faire par le passé. Les deux difficultés essentielles sont liées au temps que cela prend. J’ai été embauché en septembre 2012 et j’ai commencé à y travailler avant ça, donc j’ai consacré 98% de mes journées pendant deux années consécutives aux GdlG. C’est dur. Et l’aspect marathon signifie que je ne peux pas repousser mes limites de la même façon que je le ferais sur un film comme Super, que nous avons tourné en 24 jours. Il y a tellement d’aspects à considérer qu'il faut en garder la trace et ne pas se perdre ou perdre ce qui est au cœur du film, c’est-à-dire les personnages et leurs interactions. Il est facile de se perdre dans les effets visuels et les cascades et cela peut rapidement occulter ce qui est important. C’est très difficile de rester concentré. Sur une journée standard, j’ai des tonnes de gens qui me demandent si j’ai terminé et je rétorque :«Terminé? je dois réaliser un film, et comme deux de mes personnages principaux sont animés, je dois en faire un autre, par-dessus le premier!» Il y a beaucoup de choses différentes et c’est facile d’en oublier une ou deux et de les laisser filer.
Qu’avez-vous pensé quand le [réalisateur] Alan Taylor a publiquement débiné votre teaser pour les Gardiensà la fin de son film, Thor : Le Monde des Ténèbres? Cela semblait de mauvais goût.
Tout d’abord, Alan ne savait même pas que je dirigeais cette scène. C’est un grand fan de Super, il aime mes films, et c’est un grand fan de ce qu’il a vu des Gardiens. Alan m’a écrit directement après et était mortifié de ce qu’il avait fait. Il m’a écrit trois pages d’excuses pour dire à quel point il se sentait mal. Alan était tellement étonné du déluge soudain de questions et d’attention que c’en fut accablant. Il n’a pas écrit cette scène. C’est pendant le tournage de la seconde unité que nous avons obtenu la scène parce que les mecs ont lancé: «Hé, vous pouvez tourner ça?» Et Benicio et moi-même avons filmé pendant une heure et demie et tourné la scène pour Thor. Mais Alan Taylor réalisait un film et avait d’autres trucs à insérer dans son film, et ce n’était pas dans le ton de ce qu’il avait produit. Donc je comprends. Il n’avait sans doute pas besoin de le dire publiquement, mais il n’avait tout simplement pas l’habitude de ce genre de choses. Il a beaucoup de talent et c’est quelqu’un de bien, et ça ne m’a pas ennuyé autant que ça a pu ennuyer d’autres personnes.
Racontez-nous votre coup de cœur pour Michael Rooker et pourquoi Nathan Fillion ne fait pas d’apparition dans les Gardiens.
Qui a dit que Nathan Fillion n’y apparaissait pas? Et ensuite, quand est-ce que j’ai un coup de cœur pour Michael Rooker?
Je ne sais pas s’il ne s’agit seulement d’un “coup de cœur”, parce que cela semblerait réciproque !
[Rires] Oh non... Rooker est amoureux de moi et me suit comme un petit toutou. Je l’ai vu la semaine dernière. Lui et quelques amis étaient dans le coin et il m’a avoué que j’étais le seul réalisateur à l’avoir engagé deux fois. Je l'ai fait travaillé sur trois films. J’adore ce mec ! Je veux dire... Nous nous aimons tellement que nous sommes allés ensemble à Paris !
Je ne sais pas pourquoi je m’impose ça, mais c’est le cas.
Selon vous, quel est le premier succès cinématographique adapté d’un comics? Parmi vos favoris, lequel est votre préféré, lequel est en bas de la liste?
Eh bien, Superman est le premier succès adapté d’un comics, non? Je l’ai adoré quand j’étais enfant, mais la partie scientifique m’a posé problème, comme la façon dont il volait autour de la terre pour la faire tourner à l’envers, et qu’au lieu d’exploser, elle remonte le temps. Mais l’ambiance et le résultat sont sublimes. Par contre, je n’ai jamais aimé Batman. Pas le personnage (Batman est l’un de mes héros de comics préférés) mais je n’ai jamais aimé les films.
Question finale : allez-vous reprendre “The Toxic Avenger” et qui pourrait l’interpréter?
Non! Steve Pink, celui qui a réalisé La Machine à démonter le Temps, s'en occupe. Mon frère, Sean Gunn, devrait jouer Melvin [devenu par la suite le Toxic Avenger]. Il a d'ailleurs un grand rôle dans les Gardiens et il remplacer Bradley Cooper (la voix de Rocket) en plateau. Il était tout simplement fantastique.